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Teresa Wilms Montt.

Teresa Wilms Montt, un destin flamboyant et tragique

Teresa Wilms Montt, fut comme une comête au passage éblouissant. Ses textes à “l'intelligence sensible” exceptionnelle en son l'empreinte inaltérable.

Teresa Wilms Montt

Teresa Wilms Montt rebelle et brisée

Pour beaucoup le premier mouvement vers la vie et l’œuvre de Teresa Wilms Montt (1893-1921) vient des quelques photographies d’elle. Des yeux limpides et intenses dévorant un visage doux, délicat, aux traits parfaitement réguliers. Une bouche fine et sensuelle, aux lèvres ourlée. Des pommettes hautes et une coiffure désordonnée ou, plus tard, à la flapper.

Or la beauté de Teresa Wilms Montt est à couper le souffle !

Elle en était parfaitement consciente et le vivait avec lucidité, parfois un certain cynisme. Elle savait que cela était à la fois une chance et un fardeau, tout particulièrement quand on veut mener une carrière d’artiste, d’écrivain, à une époque où le patriarcat ne connaissait aucune alternative, où une femme ne pouvait être que fille, épouse et mère, ou cocotte.

Elle ne fut pas fille, ses parents ne l’aimèrent pas, la rejetèrent ; épouse fort peu de temps ; mère malheureuse soustraite à ses enfants et encore moins cocotte.

Elle était libre, autonome, en rébellion intelligente contre les conventions. Ce qui a valu à Teresa d’innombrables tragédies et déceptions dont elle ne voyait d’autre issue que la mort, qu’elle a côtoyée et appelée dans nombre de ses textes.

A 28 ans, après deux tentatives de suicide, elle voulut fuir définitivement un monde où elle ne trouvait pas de sens à son existence.

Cette lutte inégale, qui fait ployer, fut le destin de nombreuses femmes dont la vie se résume parfois à avoir été la compagne et la muse d’un «Grand Homme», artiste, homme public ou une épouse.

Teresa Wilms Montt, a connu un sort similaire bien qu’elle ne fut la muse d’aucun homme. Elle fut en retour l’idole, adorée ou détestée, de beaucoup d’entre eux.

Non, Teresa a été victime quant à l’oubli, de sa seule beauté et de l’éclat posthume de sa courte vie.

Pourtant, ce fut une femme très active, journaliste, féministe engagée, poétesse de grand talent que les critiques masculins de l’époque, la Belle Epoque et les prémices des Années Folles, ont rapidement rangé dans la catégorie des hystériques aux élans ridiculement lyriques.

Et, oui, sa beauté était exceptionnelle et unique, c’est ce qui retient ceux, en Europe en particulier, qui ne connaissent rien de cette femme poétesse et écrivaine.

Au Chili, et en Amérique latine, elle jouit cependant, après une période de forclusion, d’une reconnaissance à la hauteur de son talent. À la décharge des lecteurs non hispaniques les traductions en français des textes de Teresa Wilms Montt sont récentes.

On les doit à Monique Marie Ihry qui a traduit les Inquiétudes sentimentales (1917), Les trois chants (1917), et la Sérénité du Marbre (En la quietud del mármol, 1919).

Teresa Wilms Montt

Teresa Wilms Montt, chaos et fulgurance

Teresa Wilms Montt est née le 8 septembre 1893 à Viña del Mar au Chili dans une famille conservatrice catholique de la haute aristocratie. Elle était la seconde enfant d’une fratrie de sept filles nées de l’union de Federico Guillermo Wilms Montt et Victoria Montt.

Particulièrement rebelle, déterminée et indépendante, fascinée par les arts et la littérature en particulier, elle dévore tous les livres qui lui tombent sous la main et aspire à une vie affranchie des coercitions sociales, une existence créatrice, absolument libre.

Pour échapper à sa famille et par amour de jeune fille de 17 ans elle se marie clandestinement avec Gustavo Balmaceda Valdés, n’hésitant pas ainsi à se confronter à ses parents et la belle famille qui réprouvaient cette union. En 1910, pour fuir les conflits familiaux, les jeunes mariés s’installent à Santiago.

Comblée d’échapper à l’étouffement de la vie provinciale, elle est immédiatement introduite dans les cercles littéraires de la capitale. Son caractère singulier, sa culture, ses talents de pianiste et de chanteuse, mais bien entendu aussi sa grande beauté, la distingue immédiatement dans ce milieu exclusivement masculin. Son mari, tout d’abord fasciné par cette indépendance d’esprit, ne tarde pas à sombrer dans la jalousie aussi bien amoureuse qu’intellectuelle. En 1911 naît la première fille du couple, Elisa.

Teresa Wilms Montt

La vie de bohème

En 1912, le couple, poussé par les nécessités économiques et professionnelles de Gustavo Balmaceda Valdés, quitte Santiago pour Iquique, une ville portuaire en plein essor donnant sur l’océan Pacifique.

En 1913 Teresa donne naissance à sa seconde fille, Silvia Luz. A Iquique, alors qu’elle continue à fréquenter assidûment les cercles littéraires, Teresa fait la connaissance de l’anarchiste espagnole Belén de Zárraga et de la féministe Teresa Flores. Dès lors son intérêt pour les causes sociales, l’injustice économique et la cause féminine se déploie.

Elle entame sa carrière de journaliste engagé sous le pseudonyme de Tebal. Elle mène une vie de bohème, boit sans modération, fume comme un homme et consomme de l’éther. Son époux sombre dans le jeu, l’alcool, une jalousie maladive pas totalement infondée.

Teresa Wilms Montt

Diario II, 1915

« En cette époque, l’année dernière, j’étais à Iquique. Je peux dire que c’était la période où j’ai connu la plus grande liberté. Ce fut une époque à la fois sympathique et malheureuse. Nous vivions dans un hôtel miteux, mais le meilleur du port, entouré de toutes sortes d’hommes, étrangers et chiliens, commerçants, médecins, journalistes, littérateurs, poètes, etc. Une vie de bohème, plus ou moins. La nuit était réservée aux discussions, le jour pour dormir, l’après-midi pour écrire. »

« J’étais la seule femme dans ces réunions et ainsi j’étais trop choyée, car tout ce que je faisais était applaudi. Je faisais des excès de liqueur, de cigarettes, d’éther, etc. J’aimais aussi les idées anarchistes et je parlais sans vergogne de religion (contre), et je partageais les idées de la franc-maçonnerie. J’écrivais pour les journaux, je donnais des concerts. Mes visites se faisaient aux hôpitaux, aux imprimeries, accompagnée d’une troupe de médecins élégants et d’oisifs qui me flattaient sans cesse. »

« Je me suis pleinement engagée dans cette vie que je ne connaissais pas et qui m’était très intéressante. J’ai acquis des goûts peu corrects mais agréables et, pour être une femme peu commune, avec une aura romanesque. Tout le monde m’aimait. »

« C’est vrai, ma période (trois ans dans le Nord) a constitué une grande expérience… Là, j’ai appris à vivre la véritable vie. J’ai connu ce qui est pour les femmes de ma classe un mystère, la véritable misère matérielle et morale ; les cœurs et les passions basses, mesquines et grandes, les vices… Et tout ce que connaît un homme. Mon âme est sortie pure de l’épreuve, mais écœurée et avec un fond d’amertume éternelle.»

La réclusion au couvent

En 1915 Gustavo Balmaceda Valdés découvre les échanges épistolaires passionnés entre Teresa et Vicente Balmaceda Zañartu, cousin de son mari. Gustavo la répudie immédiatement. Il lui soustrait ses deux filles. S’ensuit un « tribunal familial » lui intimant de ne plus voir ses deux filles adoptées par la belle famille. Les sanctions ne s’arrêtèrent pas là puisqu’on ordonne la réclusion de Teresa Wilms Montt au Couvent de la Preciosa Sangre à Santiago.

Dès 1916, alors qu’elle est écrasée par la solitude, elle échange avec Vicente Balmaceda Zañartu (appelé Juan par souci de le protéger probablement) des lettres enflammées et désespérées. Elle entame également son journal où le ton oscille entre lucidité impitoyable sur son milieu, la vie au couvent, ses propres états psychologiques et des envolées aux tonalités mystiques, à la lisière du sacrifice christique dans un registre sensuel ou parfaitement érotique. On est parfois plongé dans des extases qui mêlent inextricablement le charnel et la transcendance.

Epuisée par ses élans contrariés, son enfermement, elle tente le 29 mars 1916 de se suicider en ingérant de la morphine.

Teresa Wilms Montt

Samedi 13 novembre (1915) « Je ne veux pas que mon bien-aimé, mon idole, me méprise ; je renonce à lui ! Et je fais le sacrifice de rester dans ce couvent pour lui prouver que mon amour est immense et pur, et que je désire être aimée et estimée comme une femme de bien. Et à ces inhumains, ces lâches sans cœur, je les écraserai par ma conduite. Ils ont voulu faire de moi une pervertie et ils ont découvert que je peux leur donner une leçon de noblesse. Renoncer à Jean me coûtera la vie ; je le ressens parce qu’il est attaché à moi comme mon propre cœur, mais je veux qu’il ne subisse pas une désillusion de la femme qu’il a aimée et qu’il a imaginée supérieure ! Je crois en Dieu et je crois en toi, Jean. Je sais que tous les deux vous comprendrez ma conduite et mon sacrifice. »

Mercredi 12 janvier (1916) « Mon Jean, idole de ma vie ! Voici tes lettres étendues sous la caresse de mes yeux. Je les bois une par une, savourant en elles ton affection. Le seul amour que j’ai dans la vie ! Je te promets beaucoup d’amour et une abnégation à jamais ! »

Les premières publications et la reconnaissance littéraire

Les parents de Teresa pour éviter le scandale financent l’exil de leur seconde fille. Avec l’aide du poète moderniste chilien Vicente Huidobro elle s’échappe vers Buenos Aires en Argentine. Commence alors l’errance de Teresa qui fera sa légende et sous laquelle son œuvre fut pour partie enfouie.

En 1917 deux de ses livres sont publiés en Argentine, Inquiétudes Sentimentales et Les Trois Chants. Ces deux ouvrages furent accueillis avec enthousiasme.

  • “Inquiétudes Sentimentales” (1917) : Ce premier ouvrage est un recueil de réflexions et de poèmes où Teresa explore ses sentiments de désespoir, d’amour et de rébellion. La publication de ce livre lui vaut une reconnaissance immédiate dans les cercles littéraires.

  • “Los Tres Cantos” (1917) : Ce recueil de poèmes est une continuation de l’exploration de ses thèmes préférés : la souffrance, l’amour et la quête de liberté. Les poèmes sont marqués par une mélancolie et une intensité émotionnelle caractéristiques. Un des leitmotives de ce recueil est le rapport romantique à une nature transfigurée.

Teresa Wilms Montt

Le drame du suicide de Horacio Ramos Mejía

A l’occasion de sa renommée naissante Teresa Wilms Montt rencontre lors d’une soirée mondaine Horacio Ramos Mejía, un admirateur énamouré âgé de 19 ans. Déjà éprouvée par sa relation avec son ex-époux et sa passion pour Vincente Teresa, elle ne souhaite plus s’engager sur la pente des relations sentimentales exacerbées. Le jeune homme désespéré par cette relation déséquilibrée s’ouvre les veines. Il meurt sous les yeux de la poétesse.

Ce drame développera chez Teresa Wilms Montt un vif sentiment de culpabilité, assorti d’un amour posthume peut-être plus littéraire que réel, où son accablement face aux vicissitudes de la vie, la perte, le manque d’amour et l’abandon trouvent l’occasion de s’exprimer. Elle restera néanmoins marquée jusqu’au dernier jour par cet événement tragique qui lui tendait un miroir de son propre désespoir et mal-être, précurseur, dans une certaine mesure, de l’existentialisme.

De cette tragédie résultera le recueil Anuarí.

Anuarí est l’une des œuvres les plus poignantes et introspectives de Teresa Wilms Montt, écrite en grande partie comme une réponse à la mort tragique de son amant, Horacio Ramos Mejía. Ce texte, publié en 1918, est souvent décrit comme un journal intime ou un recueil de pensées et de poèmes, où Teresa explore les thèmes de la douleur, de la perte, de la solitude et de la quête de sens. C’est aussi probablement une forme de rédemption face à un drame dont elle se sait la cause et dont la culpabilité lui est intolérable, aussi bien en termes personnels que « philosophiques ». Elle recherche un sens au ballottement de l’existence sans jamais y parvenir.

Teresa Wilms Montt

L’exil et l’ultime tentation de la mort

En janvier 1917 Teresa Wilms Montt s’embarque pour New York, mais son nom à consonance allemande la conduit à être soupçonnée d’être une espionne allemande. Elle est emprisonnée puis expulsée vers l’Espagne où elle s’installe à Madrid. Durant la traversée elle tente de se jeter par-dessus bord, un voyageur la sauve in extremis.

Là encore elle s’insère rapidement dans les cercles littéraires et continue d’écrire sous le pseudonyme de Teresa de la Cruz. En 1918 elle fait paraître à Madrid Dans la Sérénité du Marbre, sous un autre nom d’auteur : Thérèse Wilms.

Elle poursuit sa vie de bohème, se livre à de nombreux excès, voyage beaucoup entre Londres, Madrid et Paris.

An 1920, Teresa Wilms Montt a enfin l’occasion de revoir ses deux filles. Sous la garde de ses beaux-parents, elle peut les voir quelques heures par semaine. Cet épisode souriant ne dure malheureusement pas, la belle-famille regagne le Chili. Cette ultime séparation de ses enfants la plonge dans une dépression insondable.

Elle se donne la mort le 24 décembre 1921 en absorbant une grande quantité de Veronal. Après une agonie de quelques jours, elle décède.

Teresa Wilms Montt

Écriture, intelligence sensible et modernisme

L’écriture de Teresa Wilms Montt se caractérise par un style que l’on pourrait désigner comme moderniste quoique le romantisme de certains textes est indéniable. Probablement que l’influence de Vicente Huidobro n’est pas à négliger. Ils échangeaient fréquemment et le poète chilien était très proche de Teresa.

La prose poétique de Montt est pour l’essentiel autobiographique. Elle fait part dans un style non linéaire de ses états d’âme et réflexions, sans aucun naturalisme, pas davantage de continuité discursive. Il n’y a pas de développement mais des associations qui mêlent le descriptif, l’introspection et l’onirisme.

Le monologue intérieur fluide, par disjonctions, méandres, digressions et circonvolutions est la seule règle que suit Teresa Wilms Montt. Tout n’est chez elle qu’une question d’intelligence sensible, mélangeant émotions et acuité intellectuelle exceptionnelle.

L’itération est constante, l’écriture tente de cerner des nodules émotionnels. C’est un récit du trauma qui oscille entre la rêverie, des images associatives, de nature fréquemment mystique ou d’ordre magique et des réflexions aphoristiques plus construites, qui examinent avec une sorte d’indifférence désabusée les blessures subies, en l’occurrence la perte, l’abandon, la mort, la solitude et la souffrance morale.

Le récit est en dehors de tout contexte social, politique ou historique, les multiples perspectives du courant de conscience s’articulent autour de l’axe subjectif et individualiste. Le moi se resserre en abîme ou s’éclate en mouvements centrifuges.

Le symbolisme, parfois religieux, mais à contre-pied, et les images collectives sont omniprésentes, elles permettent à l’auteur d’arrimer son texte sur le collectif, de le rendre accessible et non purement poétique ou idiosyncrasique.

Ce qui domine néanmoins dans l’œuvre de Montt n’est rien d’autre qu’une sincérité déchirante.

Le texte est toujours intimement lié au vécu aux deux sens du terme, ce qui a eu lieu, et ce qui a pénétré dans la chair, profondément et pour toujours, intimement, jusqu’à la mort abordée chez Teresa comme un repos à la fascination morbide.

Teresa Wilms Montt


Lors d’un entretien, la journaliste Sara Hübner demande à Teresa Wilms Montt qui aurait-elle voulu être ? « Ce que je suis. De toute autre manière, je me serais ennuyée davantage.» Entretien en 1921 entre Sara Hübner et Teresa Wilms Montt peu de temps avant son suicide.





Bibliographie :

  • Inquiétudes sentimentales (1917).

  • Les trois chants (1917).

  • Dans la sérénité du marbre (1918).

  • Anuari (1919).

  • Contes pour les hommes qui sont encore des enfants (1919).

  • Ce qui n’a pas été dit (1922). Textes inédits publiés à titre posthume.

  • Diarios íntimos paru en 2015, recueil de textes et fragments de journaux intimes.


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Publié le: 01-06-2024

Par: Thierry Grizard

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