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Ben Vautier, Dada, Fluxus.

Le mouvement Fluxus et la photographie

Fluxus, influencé par Dada et le Surréalisme, visait à libérer l'art des institutions pour le rapprocher de la vie. La photographie, bien que minorée, y joua un rôle clé.
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Ben (Vautier) Tracer et signer la ligne d’horizon. Promenade des Anglais. Nice. 1962.

Fluxus est un mouvement avant-gardiste international qui a émergé dans les années 1960, incarnant une approche expérimentale et interdisciplinaire de l’art. Ce mouvement se caractérise par sa remise en question des frontières traditionnelles entre les différentes formes d’art, favorisant des expériences artistiques intégrant musique, performance, art visuel, et poésie. Fluxus se distingue par son rejet de l’art commercial et de l’élitisme, prônant plutôt l’accessibilité de l’art à tous et l’effacement des distinctions entre la vie et l’art. Ses membres ont utilisé l’humour, le jeu, et le hasard pour explorer le quotidien et ses objets, dans une démarche visant à démocratiser l’expérience artistique et à engager directement le public.

Peter Moore

Performance de Peter Moore’s. Charlotte Moorman and Nam June Paik, 1965

Origine du mouvement Fluxus

Fluxus trouve ses racines dans les mouvements d’avant-garde du début du XXe siècle, notamment Dada et le Surréalisme, partageant avec eux une rébellion contre les conventions artistiques et culturelles. Fondé par George Maciunas, Fluxus a été fortement influencé par les idées de John Cage sur le hasard dans la composition musicale, ainsi que par les concepts d’art conceptuel et de performance développés par Marcel Duchamp. Fluxus s’est nourri notamment des Happenings d’Allan Kaprow et a quelquefois embrassé la philosophie Zen dans sa quête de simplicité et d’immédiateté.

Le mouvement a établi des dialogues avec l’Art Conceptuel, en insistant sur l’idée et le processus plutôt que sur l’objet d’art fini, et le Minimalisme, bien que son approche soit plus ludique et moins formelle. La relation de Fluxus avec ces mouvements contemporains et antérieurs réside dans sa capacité à fusionner l’art et la vie, tout en défiant les hiérarchies artistiques et culturelles établies.

Le mouvement Fluxus, caractérisé par son approche interdisciplinaire et expérimentale de l’art, ne possède pas de fondateur unique au sens traditionnel. Cependant, George Maciunas est souvent considéré comme le principal instigateur et organisateur de Fluxus, jouant un rôle clé dans la formalisation et la promotion du mouvement dès le début des années 1960.

Philip Corner

En 1962, Philip Corner, l’un des membres les plus éminents du mouvement Fluxus, a provoqué un grand émoi dans les cercles de la musique sérieuse lorsqu’il est monté sur un piano à queue pendant une performance intitulée “Piano Activities” et a commencé à le frapper avec ses pieds, tandis que d’autres membres du groupe l’attaquaient avec des scies, des marteaux et toutes sortes d’autres outils.

George Maciunas (1931–1978), un artiste et architecte lituanien-américain, a été central dans l’établissement des principes et de l’identité de Fluxus. En 1961, il a organisé la première série d’événements Fluxus à Wiesbaden en Allemagne, marquant officiellement la naissance du mouvement. Maciunas était responsable de la création des Fluxkits (boîtes contenant des objets, des cartes, et des instructions pour réaliser des performances ou des expériences artistiques), des Fluxfilms, et d’autres publications qui ont contribué à définir l’esthétique et la philosophie Fluxus. Il a également rédigé de nombreux manifestes, où il décrivait les objectifs de Fluxus, notamment la fusion de l’art et de la vie, l’importance de l’art collectif, et le rejet de l’art commercial.

Manifeste Fluxus

Manifeste Fluxus, 1963, tract distribué lors du Festival Fluxus, Düsseldorf, 2 et 3 février 1963

Bien que Maciunas soit souvent cité comme le fondateur de Fluxus, le mouvement était intrinsèquement collaboratif et comprenait de nombreux artistes influents qui ont contribué à sa forme et à son développement. Parmi eux :

  • Yoko Ono, dont les “instruction pieces” pré-Fluxus ont influencé les approches conceptuelles du mouvement.

  • Nam June Paik, un pionnier de l’art vidéo, dont les travaux ont exploré les intersections entre l’art, la technologie, et la culture populaire.

  • La Monte Young, dont les compositions minimalistes ont préfiguré l’intérêt de Fluxus pour l’expérimentation sonore.

  • Alison Knowles et Dick Higgins, qui ont tous deux exploré les limites de la poésie et des performances.

  • Ben Vautier (Ben), connu pour ses explorations de l’ego et de l’identité à travers des performances et des œuvres textuelles.

Yoko Ono

Yoko Ono, Cut Piece, performance au Carnegie Hall de New York, le 21 mars 1965

Ces artistes, parmi d’autres, ont joué un rôle crucial dans l’évolution de Fluxus, contribuant chacun à la diversité et à la richesse du mouvement par leur vision unique et leur pratique artistique.

Bien que George Maciunas soit reconnu comme le principal fondateur de Fluxus, le mouvement est le résultat d’un effort collectif impliquant de nombreux artistes à travers le monde. La force de Fluxus réside dans sa capacité à rassembler des individus de divers horizons artistiques autour d’une vision commune de l’art comme expérience partagée, accessible et intégrée à la vie quotidienne.

Joseph Beuys et Fluxus

Joseph Beuys, figure emblématique de l’art du XXe siècle, entretient une relation complexe et significative avec le mouvement Fluxus. Reconnu pour ses contributions majeures à la sculpture, à la performance, et à l’art conceptuel, Beuys partageait avec Fluxus une approche non conventionnelle de l’art et une croyance profonde en son potentiel révolutionnaire et thérapeutique.

joseph-beuys

Joseph Beuys. I Like America and America Likes Me. 1974. Beuys s’enferme durant 3 jours avec un coyote à la galerie René Block, New York. Cette action était à la fois une protestation contre la guerre du Vietman, une dénonciation du génocide des Amérindiens et plus globalement la poursuite de l’idée que l’art devrait réconcilier la conscience occidentale avec la nature, que la société humaine doit pouvoir être sculptée dans une forme de rédemption en regard de sa violence intrinsèque ainsi que sa volonté démentielle d’hégémonie.

  • «le seul acte plastique véritable consiste dans le développement de la conscience humaine» — Joseph Beuys.

  • «Je voulais m’isoler, ne rien voir d’autre de l’Amérique que le coyote» — Joseph Beuys. (Il s’est d’ailleurs fait transporter à la galerie par ambulance afin de ne pas fouler le sol américain).

Au début des années 1960, Beuys a commencé à collaborer avec d’autres artistes associés à Fluxus, notamment lors d’événements et de festivals qui se déroulaient en Europe. Bien que son engagement avec le mouvement ne soit pas aussi direct ou prolongé que celui d’autres membres, l’esprit de ses œuvres et de ses actions publiques reflète l’influence de Fluxus, notamment dans son intérêt pour les performances, les happenings, et l’utilisation d’objets quotidiens comme matériaux artistiques.


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Beuys partageait avec Fluxus une vision démocratique de l’art, affirmant que “tout le monde est un artiste”. Cette conviction repose sur l’idée que la créativité n’est pas le privilège d’une élite artistique, mais une capacité inhérente à tous, capable de transformer la société. Les performances de Beuys, souvent marquées par l’utilisation de matériaux organiques comme le feutre, la graisse, et le miel, ainsi que par des symboles chargés d’une dimension mythologique et politique, visaient à éveiller la conscience et à favoriser une réflexion critique chez le spectateur.

Bien que partageant des objectifs communs avec Fluxus, Beuys a développé une pratique artistique distincte, caractérisée par une profondeur philosophique et spirituelle. Sa théorie de la sculpture sociale, qui envisage l’art comme un moyen de sculpter la société elle-même pour réaliser des changements positifs, dépasse l’accent mis par Fluxus sur la déconstruction des conventions artistiques. Beuys voyait l’art comme un véhicule pour la guérison, tant au niveau individuel que collectif, et travaillait avec des concepts et des symboles empreints d’une riche signification culturelle et historique.

Yoko Ono

Joseph Beuys. Action: Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort (Wie Man Dem Toten Hasen die Bilder erklärt). Galerie Schmela, Düsseldorf. 26 novembre 1965

Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort (allemand : Wie Man Dem Toten Hasen die Bilder erklärt) est une performance présentée par l’artiste allemand Joseph Beuys à la galerie Schmela à Düsseldorf en Allemagne le 26 novembre 1965. Bien qu’il s’agisse de la première exposition individuelle de l’artiste dans une galerie privée, elle est souvent citée en tant que l’une de ses actions les plus célèbres.

3. Fluxus et les années 1960

Yoko OnoBen (Vautier). Je signe la vie. Promenade des Anglais, Nice. 1963.

Fluxus a débuté au début des années 1960, lorsque George Maciunas a organisé le premier événement Fluxus, un festival de musique nouvelle à Wiesbaden, en Allemagne, en 1962. Le mouvement a rapidement attiré un réseau international d’artistes, de musiciens, de poètes et de performeurs qui partageaient une vision commune de l’art comme expérience accessible et participative. Les événements Fluxus, souvent sous forme de concerts, de festivals, et de “Fluxkits” (boîtes contenant des objets et des instructions pour des performances ou des expériences artistiques), se sont multipliés, défiant les attentes conventionnelles de l’art et de la performance.

Les artistes Fluxus ont exploré la notion d’“anti-art”, en utilisant des matériaux quotidiens et des gestes simples pour créer des œuvres qui mettaient en lumière le processus artistique lui-même. Le mouvement s’est étendu à travers l’Europe, les États-Unis et le Japon, créant des liens étroits entre les artistes malgré la diversité de leurs pratiques. Les années 1960 et 1970 ont vu Fluxus atteindre son apogée, avec des figures clés telles que Yoko Ono, Nam June Paik, et Joseph Beuys contribuant à sa richesse et à sa diversité.

3rd Annual New York Avant-Garde Festival, August 26, 1965

3° festival annuel Avant-Garde Festival, New York, 1965. De gauche à droite: Nam June Paik, Charlotte Moorman, Takehisa Kosugi, Gary Harris, Dick Higgins, Judith Kuemmerle, Kenneth King, Meredith Monk, Al Kurchin, Phoebe Neville

Performance de Charlotte Moorman et Nam June Paik.1971

Performance de Charlotte Moorman et Nam June Paik.1971. Takahiko Iimura

6. Rôle de la Photographie dans le Mouvement Fluxus

La photographie, dans le contexte de Fluxus, a joué un double rôle essentiel : documenter les performances éphémères et servir de médium artistique à part entière. Les photographies des happenings, des concerts et des interventions artistiques de Fluxus ont permis de capturer l’instantanéité et l’essence du mouvement, conservant des moments autrement fugaces. En tant que médium artistique, la photographie a été utilisée par les artistes Fluxus pour explorer les concepts d’identité, de présence et d’absence, ainsi que pour questionner la nature de l’art lui-même.

Les œuvres photographiques dans Fluxus varient de la simple documentation à des expériences conceptuelles complexes, où l’image photographique devient un élément de l’œuvre d’art, interrogeant la perception et l’expérience du spectateur. Ces explorations photographiques ont enrichi le discours autour de Fluxus, ajoutant une couche supplémentaire de signification et de réflexion sur le rôle de l’art dans la société.

L’influence de Fluxus sur la photographie d’art se manifeste dans la manière dont les photographes postérieurs ont abordé le médium : non plus simplement comme un outil documentaire, mais comme une forme d’expression artistique capable de remettre en question et d’élargir les limites de l’art. Les artistes ont adopté l’approche expérimentale et conceptuelle de Fluxus, utilisant la photographie pour explorer des thèmes tels que l’absurdité du quotidien, l’intégration de l’art et de la vie, et la nature performative de l’existence humaine.

Cette influence se traduit par une plus grande liberté dans l’utilisation de la photographie, où les conventions sont remises en question et les frontières entre les genres artistiques sont floues. Les artistes photographes ont emprunté à Fluxus une sensibilité à l’éphémère et à l’ordinaire, enrichissant le langage visuel de la photographie et son potentiel comme forme d’expression artistique.

8. Francesca Woodman et son rapport au mouvement Fluxus

Francesca Woodman

Francesca Woodman

Bien que Francesca Woodman ne soit pas une membre officielle de Fluxus, son travail partage avec le mouvement un intérêt profond pour l’exploration de l’identité, du corps et de l’espace. Ses photographies, souvent caractérisées par une utilisation poétique du flou et de la superposition, interrogent la présence et l’absence, évoquant la fragilité et la transience de la vie. Woodman a utilisé son propre corps comme sujet et médium, dans une démarche rappelant les performances de Fluxus, où l’artiste et l’œuvre ne font qu’un. Sa pratique artistique, centrée sur l’expérimentation et la remise en question des normes photographiques, résonne avec l’esprit de Fluxus dans sa quête de nouvelles formes d’expression et dans son désir de fusionner l’art avec l’expérience vécue.


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9. Ana Mendieta et Fluxus

Ana Mendieta

Ana Mendieta

Ana Mendieta, connue pour sa série “Silueta”, a également partagé des affinités conceptuelles avec Fluxus, bien qu’elle n’ait pas été formellement associée au mouvement. Sa pratique artistique, centrée sur des performances où son corps était fusionné avec des éléments naturels, évoque la démarche Fluxus de brouillage des frontières entre l’art et la vie. Mendieta a utilisé la terre, le feu, l’eau et l’air comme matériaux artistiques, dans une approche qui rappelle la valorisation par Fluxus des actions et des objets quotidiens. Ses œuvres, souvent éphémères et documentées par la photographie et la vidéo, questionnent les thèmes de l’identité, de la présence et de la disparition, explorant des questions existentielles qui trouvent un écho dans l’esprit de Fluxus.


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10. Elina Brotherus est-elle Fluxus ?

Elina Brotherus, une artiste contemporaine travaillant principalement avec la photographie, explore des thèmes qui résonnent avec les préoccupations de Fluxus, telles que l’autoreprésentation, l’expérience personnelle et la relation entre l’individu et l’environnement. Bien qu’elle ne soit pas directement liée à Fluxus, son approche expérimentale et son utilisation de la photographie comme un espace pour la performance personnelle partagent l’esprit d’innovation et de défi des conventions artistiques caractéristique de Fluxus. Brotherus crée des œuvres qui interrogent le rôle de l’artiste et du spectateur, invitant à une réflexion sur la perception et l’expérience esthétique. Sa démarche, marquée par une sensibilité à l’environnement et à la temporalité, ainsi que par une attention portée à la simplicité et à l’authenticité, reflète les valeurs de Fluxus en matière d’art et de vie.

Elina Brotherus

Elina Botherus

Le travail de Brotherus, comme celui de Woodman et Mendieta, bien que distinct dans sa forme et son contenu, partage avec Fluxus une approche fondamentalement interrogative et expérimentale, qui remet en question les limites et les définitions établies de l’art. À travers leurs pratiques diverses, ces artistes contribuent à l’héritage de Fluxus, en perpétuant son esprit de curiosité, d’innovation et de transgression des normes artistiques. Cette perpétuation de l’esprit Fluxus à travers les œuvres de Francesca Woodman, Ana Mendieta, et Elina Brotherus démontre l’impact durable et profond du mouvement sur les générations d’artistes postérieures. Ces artistes, bien qu’opérant en dehors du cadre officiel de Fluxus, incarnent les principes fondamentaux du mouvement : une remise en question des frontières entre les disciplines, l’exploration de l’interrelation entre l’art et la vie, et une approche expérimentale et inclusive de la création artistique.


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Le mouvement Fluxus, avec son accent sur l’expérimentation, l’interaction et la participation, a laissé une empreinte indélébile sur le paysage de l’art contemporain. Son influence se fait sentir non seulement dans les disciplines traditionnellement associées à Fluxus, comme la performance et l’art conceptuel, mais aussi dans des domaines plus larges, tels que la photographie d’art, où il a encouragé une réflexion sur le médium lui-même et ses possibilités narratives et expressives.

L’héritage de Fluxus se révèle également dans la manière dont les artistes contemporains abordent les thèmes de l’identité, du corps, et de la nature. À travers des pratiques qui privilégient le processus sur le produit, l’expérience personnelle sur la représentation distanciée, et l’engagement du spectateur dans l’acte créatif, ces artistes poursuivent les interrogations initiées par Fluxus. Ils explorent la capacité de l’art à catalyser une réflexion critique sur la société, à dévoiler les aspects cachés de l’expérience humaine, et à établir un dialogue entre l’intime et l’universel.

Le mouvement Fluxus rappelle que l’art ne se limite pas à des objets à contempler, mais englobe une gamme d’expériences et de pratiques qui interrogent et enrichissent notre compréhension du monde. Par leur travail, Woodman, Mendieta, Brotherus, et bien d’autres, contribuent à cette vision dynamique et évolutive de l’art, où les frontières sont constamment redéfinies et les possibilités d’expression sont infinies. Leur art, tout comme Fluxus, nous invite à regarder au-delà des apparences, à participer activement à la création de sens, et à reconnaître la beauté et la complexité dans les aspects les plus quotidiens de notre existence.


Le site de Ben


Publié le: 17-06-2024

Par: Thierry Grizard

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