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Michael Borremans. La peinture serait-elle une mise en scène ?

Michael Borremans: « Une bonne œuvre d’art n’est ni une réponse ni une question. Une bonne œuvre est un nœud.» Cette phrase résume assez bien son œuvre

Michael Borremans. La peinture serait-elle une mise en scène ?

Peinture et noeuds picturaux

Michael Borremans est un peintre/plasticien/vidéaste belge (1963), très peu connu en France, pourtant très côté sur le marché de l’art contemporain. Ses œuvres peu nombreuses s’arrachent auprès des institutions et des grands collectionneurs. Il a suivi des études de photographie et ne s’est tourné vers la peinture qu’à la trentaine. Il déclare avoir appris à peindre en autodidacte en étudiant avec passion notamment Velazquez, mais aussi Goya et plus récemment Chardin.


« Une bonne œuvre d’art n’est ni une réponse ni une question. Une bonne œuvre est un nœud.» _ Michael Borremans


Une peinture conceptuelle ?

Michael Borremans par cette phrase de résume assez bien la démarche qu’il mène. Avant d’être un peintre Michael Borremans est un artiste conceptuel. Chaque œuvre est le fruit d’une longue maturation poursuivie avec méthode.

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Certes pour beaucoup d’artistes créer est le fruit d’une maturation longue. Mais chez Borremans cette maturation n’est pas comme le long chemin de l’inspiration. La création est pour lui comme un projet, avec une ou des méthodes relativement élaborées, voire même des rituels, celui notamment de peindre en costume élégant. L’acte de peindre est bien la finalité du projet mais l’acte est retardé volontairement dans une mise en scène de la production artistique. L’acte de peindre chez Michael Borremans est donc soumis à la maturation étape après étape d’une idée première, d’un motif.

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Le projet ne s’arrête néanmoins pas là: à savoir procéder à l’accouchement pictural de l’idée. Le processus doit impérativement pour Michael Borremans aboutir à une représentation de l’idée, certes, mais de manière non explicite. La projection peinte de l’idée doit absolument demeurer ouverte. Pour que la toile existe par elle-même dans sa propre interrogation il faut que tout ce long cheminement n’aboutisse pas à son terme, à la résolution de la question qu’a posée l’idée de départ. Le paradoxe final est donc que le motif n’est là que pour nous retenir encore davantage dans l’observation de ce cadre, cette image qui demeure un nœud muet.

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Michael Borremans procède donc comme un metteur en scène (quelque peu pervers) de théâtre ou de cinéma, la toile est par conséquent la scène de ce théâtre, l’écran de projection. Mais puisque Michael Borremans ne veut pas livrer l’idée avec sa solution, l’essentiel, quant au sujet, reste hors du cadre. L’exemple le plus extrême de cette démarche est ce portrait où l’œil du peintre ne projette sur la scène de la toile que les mains du modèle. Cette mise en scène, cette manipulation des plans de projection, veut forcer, comme un coffre-fort, notre intellect, pour qu’enfin l’on voie, et non que l’on décrypte ou lise ou sur-interprète.

Michael Borremans suit un parcours qui semble récurrent dans son processus de création. Tout d’abord il dessine, dessine beaucoup, couche ainsi des idées, des projets. Puis le travail de mise en scène commence par la recherche des accessoires, des modèles, de l’éclairage. Michael Borremans ne travaille pas depuis photo, depuis des éléments épars de documentation, depuis des références immédiates. Il met en scène les références. C’est-à-dire qu’il recrée dans le studio de son atelier le moment qu’il représentera dans ce théâtre figé et sans action qu’est une toile.

C’est ainsi qu’il fait poser ses modèles, trouvés la plupart du temps autour de lui et sélectionnés pour leur ressemblance avec ce qui n’existe pas encore. Il leur fabrique des vêtements les plus éloignés possibles des vêtements de ses contemporains. Certains de ces vêtements sont d’ailleurs des jupes en bois peint, ou des robes en carton coloré par ses soins. Les accessoires sont autant de pièces abstraites qui sectionnent, découpent déréalisent l’environnement et le corps du modèle. Le modèle lui-même ne doit rien exprimer. Il doit être tel un mannequin. Et enfin le tout est baigné dans un éclairage artificiel souvent âpre, découpant des ombres sans modulation, de manière quasiment géométriques.

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© Michael Borremans. « The Banana ».

Une fois la photographie de studio obtenue. Le projet mûrit encore et s’approche ou pas de la dernière mise en place sur la surface du tableau.

Le peintre alors peint tout cet artifice dans la lumière naturelle de son atelier avec la volonté d’être aussi proche que possible de l’imitation de la réalité, des matières, des textures. Il reproduit la photographie de la mise en scène de son idée.

C’est l’ultime paradoxe : la manière si magistralement « académique de Michael Borremans reproduit, imite une photographie de studio, elle-même représentation de l’idée initiale sur la scène du tableau. Tout n’est qu’histoire de référents et de simulacres en miroirs qui ne libèrent au final qu’une énigme.

Les portraits ne sont donc pas des portraits. Les lieux ne sont donc pas des intérieurs ou des paysages, mais des scènes de théâtre. Les échelles sont altérées. Les référents se perdent dans des impasses.

Les modèles sont sans psychologie, immobiles. Ils ne sont pas la représentation d’individus dont le peintre cherche à rendre la vérité. Ce sont des universaux sans personnalité, sans temporalité, ils ne sont pris dans aucune action. Ils sont comme des éléments du décor ou des représentants figés d’une idée qui refuse de livrer son sens.

Les vêtements si bien rendus dans leurs textures sont, ou trop rigides, ou improbables ou d’une brillance artificielle.

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Le décor quant à lui est comme on l’a dit soit totalement abstrait, soit théâtral et souvent sans échelle facilement identifiable.

Enfin la lumière du tableau scrupuleusement peinte en lumière naturelle est, elle, artificielle.

Ces portraits qui ne sont pas des portraits sont des archétypes peints ou des incarnations d’états psychologiques formalisés par Michael Borremans qui a longuement travaillé à leur élaboration avant de peindre

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Michael Borremans nous livre, par conséquent, des énigmes ouvertes où le statut de l’image est profondément questionné dans la continuité respectueuse de l’histoire de la peinture. On devrait dire de la représentation picturale.

Michael Borremans est donc un authentique artiste peintre qui travaille comme un artiste conceptuel, un metteur en scène scrupuleux.

D’ailleurs Michael Borremans a réalisé de nombreux films où il reproduit ses projets de théâtre pictural. Il s’agit de longs plans fixes, dénués d’actions où l’on voit tous les moments que la toile ne peut représenter dans son mimétisme réaliste, qui l’oblige dans ce cas de figure, à ne représenter qu’un moment de l’idée. Mais les films de Borremans ne sont que des idées douées de mouvements souvent infimes, ou de simples rotations panoramiques permettant de découvrir toutes les facettes du modèle en tant qu’universel, mannequin figé dans une représentation.

Le travail de Michael Borremans est une boucle sans fin. Une peinture exécutée dans une manière jouant ironiquement de « l’académisme », et donc, en principe, tributaire de l’idée d’imitation, de véracité du motif. Mais elle ne livre que des énigmes questionnant le statut de la représentation. Finalement ce qui est donné à voir c’est cette boucle, sa mise en scène itérative.

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