Raphaël Dallaporta, Impersonnel ! (Prix Niépce 2019)
Raphaël Dallaporta et Héraclite
Raphaël Dallaporta (né en 1980, vit et travaille à Paris) est un photographe français qui refusant l’étiquette de plasticien se situe entre les sciences et une forme de réflexion conceptuelle sur les images (entre autres photographiques) du « réel » (l’ensemble des faits) et en l’occurrence de certains objets factuels (viscères, mines, vestiges archéologiques, etc.) qui ont donné lieu à des séries photographiques rigoureuses et fécondes.
Il y a chez Raphaël Dallaporta pourtant plus que le simple questionnement concernant la photographie, laquelle est sur la sellette depuis des décennies, en particulier avec le courant de la Photographie Objective issue de l’École de Düsseldorf (voir nos articles sur Thomas Ruff, Thomas Struth et Thomas Demand).
En effet, l’artiste français dans le choix de ses sujets convoque toujours une dimension plus universelle que le simple objet documentaire, au point de confronter, notamment dans la série « Trouble » (2016), la maxime d’Héraclite (« À ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres eaux. ») à une forme d’expérimentation consistant à filmer et saisir au Polaroid les ondes produites par sa propre immersion dans un plan d’eau particulier, celui de Pont-d’Arc, procurant à la performance une dimension originaire supplémentaire. Cette action, proche dans l’esprit de Fluxus et évoquant aussi Anna Mendieta (voir notre article), souligne bien que les dénégations de Raphaël Dallaporta quant à une dimension autre que simplement photographique de son travail n’est pas d'une bonne foi totale. Tout au contraire dans chacune de ses séries on perçoit un propos plus large que ce qui est documenté. De surcroît la mise en forme presque minimaliste du documentaire introduit d’emblée la suspicion quant à l’évidence (visuelle) de ce qui est montré. Il y a dans la mise en page sinon la mise en scène ou la composition un effet d’ironie contaminant l’intégrité de la fonction documentaire.
L’hypothétique neutralité de la photographie
La neutralité photographique et son ambiguïté est un des thèmes récurrents du travail de Raphaël Dallaporta. Ainsi, les mines antipersonnelles qui composent la première série des travaux du photographe (exposition qui a révélé, en 1974 à Arles lors du festival éponyme, le photographe au grand public) ne sont pas « montrées » comme dans un catalogue informatif ou une archive photographique à la Bernd et Hilla Becher.
Certes il n’y pas de dramatisation à la façon d’un reportage sur le vif illustrant les méfaits de ces armes par la tragédie contingente d’une de leurs victimes. Certes, Raphaël Dallaporta dresse bien un inventaire macabre, à l’échelle un, sans aucun accessoire. Mais il réalise ces images hors contexte, sur fond noir, comme dans un écrin, avec, en outre, un éclairage digne d’objets publicitaires de luxe. La forme bien que frontale et austère n’en contredit pas moins le « fond », à savoir un réquisitoire muet contre les mines antipersonnelles.
Cette première série cumule déjà tous les ressorts du travail du photographe français, la suivante « Esclavage Domestique » utilisera exactement les mêmes procédés. La mise en forme est une de ces constantes, elle emprunte les atours de la rigueur documentaire appuyée par un texte descriptif de l’objet. Cependant l’écrit descriptif qui accompagne l’image est presque systématiquement hors contexte, ce n’est en général rien de plus qu’une notice technique. C’est une des autres caractéristiques du corpus de Raphaël Dallaporta. Les images sont décontextualisées à la lisière de l’esthétisation. Dans la série "Antipersonnelle" Il n’y a aucune mise en perspective quant à l’usage létal, à la dimension politique, économique et humanitaire. Le photographe reste muet. Cependant s’il ne se prononce pas dans ses photographies il met néanmoins le regardeur en situation de doute sur ce qui est représenté et ce qui est dit, à lui en fonction des informations (d’apparence) neutres qui lui sont procurées de prendre position.
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