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Juergen Teller, est-il vraiment un électron libre ?

Juergen Teller a révolutionné la photographie de mode en détachant le produit de la marque ! La marque n'est plus un produit mais une posture, une attitude, une forme de "distinction"

Juergen Teller, est-il vraiment un électron libre ?
  • « Je voudrais obtenir une densité sans sentimentalisme, qui soit la plus humaine possible. »
  • « Depuis Duchamp, on ne fabrique plus que des ready-made, même si nous peignons de notre main. »
  • _ Gerhard Richter, Textes.

Juergen Teller en son "milieu"

Juergen Teller n’est pas un trublion venu de nul part. On gratifie un peu trop vite le photographe allemand d’une proposition esthétique totalement innovante et libératrice.

En effet, Teller qui est d’origine allemande, qui a suivi des cours à la Bayerische Staatslehranstalt für Photographie à Munich (1984-1986), n’est pas un électron libre.


Il y a dans la culture allemande depuis le début du 20° siècle une forme de « tradition » de la contestation, de l’anarchisme révolutionnaire remettant en cause toutes les conventions.

Sans faire un cours d’histoire de l’art on pourrait dire de la démarche iconoclaste de Juergen Teller qu’elle remonte du Dadaïsme en passant par les actionnistes allemands en trouvant plus proche de nous la Photographie Objective allemande, notamment Thomas Ruff et encore plus contemporain Wolfgang Tillmans, qui est comme l’alter ego conceptuel de Teller y compris dans le parcours professionnel.

On pourrait également citer d'autres filiations possibles Martin Parr, Nobuyoshi Araki, Daidō Moriyama et ce qui gravite autour du magazine Provoke, Nan Goldin, Terry Richardson, etc.

La photographie sans qualité

Il y a des influences que Teller réfute telles que la Photographie Objective allemande en particulier Thomas Ruff ou Tillmans. Ruff pour son parti pris anti esthétique et le goût pour une banalité triste qui confine à une esthétique, par opposition Tillmans pour le goût du détail insignifiant et prosaïque.

Si Teller refuse d'admettre avoir été consciemment influencé par ces deux photographes il n'hésite pas cependant à citer Gerhard Richter malgré sa relation amicale avec Anselm Kiefer (Richter méprise ouvertement le travail de Kiefer). Or Richter a fréquemment évoqué son gout pour les photos sans qualité, qu'il s'agisse de photos de presse a l'emporte-pièce ou de photographies d'amateurs qu'il s'est évertué à reproduire afin de se détacher de tous sujets de la représentation pour ne retenir que le geste de la peinture, la surface de projection.

Teller semble avoir retenu ce qui fait la force des images sans qualité du quotidien pour ne pas dire du réel : la familiarité, l'absence de filtre culturel, la réalité brute d'un moment révolu et immédiat.

Dès ses débuts grunge Teller veut probablement, par goût personnel, désir de se démarquer et révolte contre les canons esthétiques de la presse people et de la mode reproduire une forme de normalité, d'authenticité, la chair des faits réels avec en outre une véritable capacité de complicité avec le sujet ou modèle (Cobain, Björk, Kristen McMenamy). Évidemment par l'aspect surexposé, mal cadré, aux couleurs délavées ou pisseuses Juergen Teller, dans son anti-conformisme, se cantonne à une esthétique anti esthétique (sans aller jusqu'à évoquer l’anti-art d'un Duchamp ou Mansoni) un peu trop simpliste. Finalement le photographe allemand serait davantage à rapprocher de Nan Goldin ou Araki.

Juergen Teller
© Juergen Teller

Juergen Teller est-il un opportuniste ?

On accuse parfois Teller de n’être qu’un opportuniste n’ayant pas sa place dans le « monde de l’art ». Vaste débat ! Aussi bien sociologique, qu’esthétique ou philosophique. Marcel Duchamp a probablement donné le mot de la fin concernant ce sujet. Bourdieu y a apporté tous les éléments critiques et factuels pour en montrer le relativisme historique et sociologique.

L’art c’est l’artiste, sa signature. C’est le marché, les conventions, le sérail des artistes « reconnus » qui décident de la frontière entre le prosaïque et l’artistique. Les Arts Premiers, les estampes japonaises, les guildes d'artisans du gothique, et ainsi de suite. Tout est affaire de signes et de reconnaissance des signes. Ou presque ! Demeure la frontière entre ce qui est création, écart et répétition.

Certains ont donc décrété que Juergen Teller avait sa place sur le marché de l’art, dans les musées. Le second marché a fait preuve jusqu’à aujourd’hui de moins d’enthousiasme. Une place qu’on lui laisse aussi pour des raisons plus ou moins inavouables de marketing et d’intérêt des marques qui se sont « renouvelées » grâce au photographe iconoclaste.

Teller se prête au jeu, mais en continuant de se rebeller, en cassant les codes habituellement attachés au monde de la mode et son marketing frénétique. Codes anticonformistes que le système sait également parfaitement réutiliser à son avantage. La disruption ! L’écart ou la différenciation que les marques cherchent obstinément. Surprendre pour être mieux adopté. Le secret ultime d’une bonne campagne marketing.

Dans ce jeu pervers Teller est à la fois gagnant et perdant. Sa rébellion est récupérée quoiqu’il ait su à plusieurs reprises, dont avec Marc Jacobs, se donner assez de liberté pour n’en faire qu’à sa tête.

Juergen Teller
© Juergen Teller

Juergen Teller, Nobuyoshi Araki et Cindy Sherman

Parmi les influences évidentes et directes concernant Juergen Teller on peut citer sans aucun doute Araki, qui a su mêler autofiction, provocation et un érotisme orgiaque où la présence de la mort est constante. Les points communs : les cadrages de guingois, pourtant très calculés, l’usage du flash, avec chez Juergen Teller une surexposition systématique. Mais le point le plus important est la narration autobiographique plus ou moins apocryphe.

Juergen Teller

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