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Deborah Turbeville, la déréliction nouvelle esthétique de la mode

Deborah Turbeville a, dans années 1960, initié une nouvelle approche de la photographie de mode qui a été déterminante

Deborah Turbeville, la déréliction nouvelle esthétique de la mode
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Deborah Turbeville et la photographie de mode

Deborah Turbeville a imposé au début des années 1960 une nouvelle approche de la photographie de mode, libérée, pour un temps, des canons esthétiques hyper sexualisés.

En effet, avant d’être un raz de marée mondiale envahissant tout l’environnement urbain, numérique ou journalistique la photographie de mode était un marché de niche, très académique et artisanal, réservé à un public restreint. L’ère des mass media a évidemment tout bousculé.
A partir des années 1950 la photographie de mode prend son essor imposant une image de la femme extrêmement codifiée.
Parmi les photographes qui dominaient cette scène aux dimensions mondiales on peut citer quelques grands noms connus de tout un chacun.

Irving Penn Maître du portrait et du minimalisme

Photographe de studio par excellence. Irving Penn (1917 – 2009) isole son sujet, jusqu’à faire des portraits de célébrités dans un angle, dans un coin étroit tendu d’un fond marbré. Touchant la mode il se concentre sur les formes et matières des produits portés par les mannequins. Il y a une sorte de minimalisme et d’abstraction formelle qu’il développa dans ses recherches personnelles, natures mortes ou nus. Il n’en occulte pas pour autant le modèle avec lequel il sait toujours entretenir une connivence qui en exalte la singularité. Irving Penn est un des grands maîtres du portrait.Si il a innové esthétiquement il reste dans le domaine de la mode soumis à l’obédience du glamour.

Helmut Newton, narration et érotisation

Helmut Newton (1920 – 2004) amène la photographie de mode vers un glamour exacerbé. Il introduit un trouble dans les genres et les rôles. Les femmes sont dominantes (érotiquement), les hommes parfois indéfinis, voire soumis. La narration constante dans les images d’Helmut Newton s’axe principalement autour de la sexualité et du franchissement des frontières. Les stéréotypes de genre se confrontent sans être remis en cause. La réification est la règle d’autant que les thèmes fétichistes et sadomasochistes sont omniprésents. Trouble dans le glamour !

Guy Bourdin, les contes cruels et la mode

Guy Bourdin (1928 – 1991) maître de la couleur s’est évertué à bousculer tous les codes dans des mises en scène surréalistes. A partir du prétexte d’un objet, le produit en l’occurrence, Guy Bourdin file un scénario improbable et fréquemment cruel. Quant à l’usage de la couleur, il s’agit de grands aplats dont il trouve l'inspiration dans les grands courants picturaux de l’époque, Pop Art, Color Field painting, entre autres. S'il fut un inventeur extraordinaire Il n'en demeure pas moins que la représentation des femmes reste très normée et soumise à une réification permanente.

Richard Avedon, La sophistication à son acmé

Richard Avedon (1923 – 2004) dans son travail pour la mode a élevé la sophistication formelle à son extrême en introduisant le mouvement dans la pose et parfois une hétérogénéité de contenu mettant en valeur le produit et son modèle. Un glamour en action et par contraste.

Deborah Turbeville, la déréliction comme esthétique

Deborah Turbeville est née le 6 juillet 1932 à Boston, Massachusetts. Elle a été élevée dans une famille aisée. Turbeville a étudié à la Radcliffe College de l'Université Harvard, où elle obtint un diplôme en histoire de l'art. Sa première incursion dans le monde de la mode fut en tant que mannequin.

Deborah Turbeville
Deborah Turbeville

Dans les années 1960, Turbeville entame une carrière dans le domaine de la photographie en tant qu'éditrice photo pour Harper's Bazaar. Dans ce cadre elle rencontre notamment Diane Arbus mais surtout Richard Avedon qui devint son mentor. C'est là qu'elle commence à forger un style distinctif, refusant les normes conventionnelles de la photographie de mode de l'époque. Elle introduit, en particulier, une esthétique sombre, baudelairienne, très inspirée du pictorialisme.

Dans ses travaux photographiques, les modèles, fréquemment très minces, voire maigres, sont saisis dans des poses de groupes et dans des environnements marqués par la décrépitude, la solitude, la mélancolie, une apparence légèrement maladive. Une trame narrative implicites sous-tend presque systématiquement la construction de l'image et les déclinaisons des séries qu'elles soient de commande ou personnelles.

C'est notamment le cas de la série The Bathhouse réalisée, en 1975, pour Vogue US. Les mannequins sont photographiés dans des bains public sales et dégradés. Les filles en bikini sont alanguies, ennuyées. Elles se "tiennent mal", vaguement avachies. Certaines adoptent des attitudes ambiguës aux connotations sexuelles, masturbatoires, lesbiennes, qui firent scandale à une époque où ce genre de représentation était parfaitement inconnue.

The Bathhouse. Deborah Turbeville
© Deborah Turbeville. The Bathhouse, Vogue US, 1975.

Le style pictorialiste aux flous oniriques et au grain exagéré est exploité jusqu'à l'extrême. Deborah Turbeville vieillit artificiellement les tirages, les détériore, superpose les calques. Tout est délabré, l'éclairage est sous-exposé, la mise au point imprécise. Le spleen atteint jusqu'à la texture du matériau photographique.

Dans ses recherches personnelles Turbeville pratiquera également le collage et les superpositions.

En produisant une image altérée de la mise en valeur du produit Deborah Turbeville initiera une nouvelle esthétique de la mode où le modèle ne fait plus "bonne figure", ignore l'appareil photo, où le maquillage lui-même accentue une forme de spleen glamour.

A tel point que plus le produit est haut de gamme plus le modèle semble mépriser le consommateur, signifiant qu'il faut mériter son attention pour accéder à ce dernier, et que le posséder c'est se démarquer.

Les sourires, rires et la bonne humeur pour les produits bas de gamme ou le tout-venant, une forme artificielle de condescendance pour le luxe.

Deborah Turbeville. Vogue-Italie, 2009.
© Deborah Turbeville. Vogue-Italie, 2009.

Ce n'était d'ailleurs pas le propos de Déborah Turbeville qui souhaitait avant tout rompre avec la réification outrancière des images de mode. Les modèles de la photographe américaine reprennent en quelque sorte leur indépendance dans une narration qui leur est propre et, en effet, dans une forme d'introversion triste. C'est ce que les épigones ont principalement retenu.

En 1990, Deborah Turbeville élargit son champ artistique en se lançant dans la réalisation de films expérimentaux, explorant ainsi de nouveaux médias pour exprimer sa vision artistique. Elle publie également plusieurs livres monographiques, dont "Unseen Versailles," qui documente de manière subtile la déshérence du palais de Versailles.